A l’hiver 1947, recherchant une bête, un Bédouin découvre dans une grotte de Qumrân, plateau déserté depuis l’Antiquité et dominant les rives de la mer Morte, à 20 km au sud-est de Jérusalem, des rouleaux de cuir en hébreu.
« La plus importante aventure archéologique du XXe siècle »
Ces rouleaux manuscrits parviennent à un savant juif, Éléazar Sukenik, vivant en Palestine sous mandat britannique et qui en saisit l’importance. « Bouleversé, ce dernier pressent qu’ils sont écrits en caractères hébreux très anciens et se rend compte qu’il s’agit de textes bibliques et d’autres textes totalement inconnus ».
Inattendues « trouvailles clandestines, brocanteur-cordonnier, intermédiaire « intéressé », expert masqué, négociations de sommes faramineuses : le décor est planté pour une incroyable saga ».
De 1947 à 1956, Bédouins et archéologues découvrent « onze grottes contenant des centaines de manuscrits de livres bibliques vieux de plus de 2 000 ans, écrits en hébreu, en araméen et en grec ». Parmi eux, se trouvent des « documents anciens témoignant de l’existence d’une communauté dont les membres respectaient des règles strictes de pureté. Conduits par un énigmatique « Maître de Justice », ils vivaient dans l’attente du Messie et se préparaient pour la fin des temps ».
De 1953 à 1960, sont déchiffrés des rouleaux « presque intacts et reconstituer un puzzle gigantesque de centaines de milliers de fragments, en hébreu, en araméen, en grec ».
A ces interrogations des scientifiques, a fait écho l’engouement du grand public s’enquérant du temps mis à divulguer le contenu des rouleaux.
Aujourd’hui encore, d’intenses polémiques demeurent.
A l’Est de Jérusalem, à 417 mètres au-dessous du niveau de la mer, la mer Morte s’étend sur plus de 1 000 m² et recueille les eaux du Jourdain. Sa grande quantité de sel interdit à tout organisme autre que des bactéries d’y vivre.
Les rives de la mer Morte étaient appréciées en raison de leurs sources chaudes ou de leurs palmeraies. Cette mer était « exploitée pour son sel ou son bitume naturel. Des navires reliaient ses différents fortins et comptoirs. Parmi eux, les ruines connues sous le nom de Qumrân étaient habitées depuis l’âge de fer. Dans les innombrables grottes situées à proximité, des hommes ont déposé il y a 2 000 ans des centaines de manuscrits religieux ». Là, les plus vieux manuscrits de la Bible ont été découverts par un, puis deux Bédouins, en 1947.
La « découverte des premiers manuscrits suscita un regain d’intérêt pour les témoignages de l’Antiquité et du Moyen Âge qui mentionnaient déjà l’existence de manuscrits hébreux découverts dans des grottes, près de Jéricho ».
Selon le « témoignage de l’évêque de Césarée, Eusèbe, remontant au IVe siècle, des manuscrits hébreux de la Bible conservés dans des jarres auraient été découverts et utilisés pour corriger les erreurs de traduction de la Septante (traduction en grec de la Bible hébraïque pour les juifs d’Alexandrie). Selon un autre témoignage, celui de l’évêque syriaque Timothée, datant du Xe siècle, des manuscrits auraient été découverts par hasard dans une grotte par un berger lancé à la poursuite de son chien ».
L’histoire des manuscrits de la mer morte correspond à une saga romanesque, fertile en rebondissements rocambolesques : de la découverte des premiers rouleaux en 1947 jusqu’en 1955, des milliers de fragments, de taille diverse, sont découverts dans les 11 grottes du site de Qumrân.
Les scientifiques des Ecoles archéologiques française, anglaise et américaine de Jérusalem « se livrent à une véritable compétition contre les Bédouins dans les falaises du site ».
Cette « course aux fragments » se poursuivit aussi sur le marché des antiquités.
Avec pour cadre historique les tensions liées à la recréation de l’Etat juif, cette aventure conjuguant « enjeux scientifiques et politiques, met en scène de nombreux protagonistes : des Bédouins chasseurs de trésors, des intermédiaires plus ou moins scrupuleux, des hommes de main, des chercheurs-épigraphistes de génie, des acheteurs anonymes, des archéologues de terrain… »
La « Bibliothèque des manuscrits de la mer Morte »
A Qumrân, des dizaines de milliers de fragments provenant de quelques 900 manuscrits différents ont été extraits de 11 grottes.
De ce nombre élevé de documents, certains chercheurs en ont induit que ces manuscrits constituaient une bibliothèque. Pour le père Roland de Vaux, c’était la bibliothèque d’une communauté religieuse vivant le site. Pour Sukenik, épigraphiste (expert en étude des inscriptions) génial, il s’agirait d’une genizah (lieu recevant des livres sacrés) similaire à celle fameuse du Caire (Egypte). Les avis demeurent partagés sur l’origine de ces manuscrits, presque tous en hébreu ou en araméen, rarement en grec, que l’on peut classer ainsi :
– près « de 250 exemplaires des livres qui composent aujourd’hui la Bible,
– des livres exclus par la suite de la Bible par les juifs et les chrétiens,
– des œuvres inédites tels des commentaires des livres de la Bible ainsi que des textes contenant les règles de vie d’une communauté religieuse comme le Rouleau du Temple et la Règle de la communauté ».
Le judaïsme et le christianisme « fondent leur message sur la Bible dont le contenu a été définitivement fixé il y a environ 1500 ans. Les juifs reconnaissent l’autorité du texte massorétique établi vers le VIe siècle de notre ère. Les chrétiens emploient différentes traductions grecque et latine pendant l’Antiquité et au Moyen Âge ; allemande, anglaise et française ».
Quelques siècles plus tard, les juifs d’Alexandrie traduisent la Bible hébraïque en grec.
Avant « la découverte de Qumrân, le plus ancien manuscrit de la Bible connu datait du Moyen Âge. Les plus de 200 manuscrits de la Bible retrouvés dans les grottes datent du IIIe siècle avant notre ère au Ier siècle de notre ère ». Cet événement majeur a éclairé sous une lumière nouvelle le texte biblique.
A Qumrân, ont également été trouvés des manuscrits « mettant en scène des personnages et thèmes proches de ceux des textes de la Bible. Certains étaient totalement inconnus, d’autres, rejetés par la tradition juive mais inclus dans la Bible chrétienne. On les nomme « apocryphes » par opposition aux livres « canoniques ». Lorsque la rédaction d’un apocryphe est attribuée à un personnage biblique, on parle d’œuvre « pseudépigraphe », c’est-à-dire « dont le nom de l’auteur est faux ».
Certaines églises chrétiennes ont intégré « dans leur canon des écrits considérés comme apocryphes pour la tradition juive. Ont par exemple été retrouvés à Qumrân les originaux hébreux de trois ouvrages considérés comme canoniques par l’Eglise catholique : Tobit, Ben Sira et l’Epitre de Jérémie. Le très célèbre livre d’Hénoch avait été canonisé par l’Eglise d’Ethiopie. Seule la traduction éthiopienne était connue dans son intégralité, or une version en araméen composée plusieurs siècles avant notre ère a été retrouvée ».
La « liste des apocryphes découverts à Qumrân est bien plus longue : Apocryphe de la Genèse, de Josué, de Samuel–Rois, etc. Les écrits qui formeront les premiers livres de la Bible étaient déjà fixés à Qumrân. Cependant, la présence d’un aussi grand nombre d’apocryphes dans les grottes » permet de penser que le choix définitif des textes n’était pas encore fixé.
Avant la découverte des manuscrits de la mer Morte, les seul témoignages de la langue et de l’écriture pratiquées en Judée 200 ans avant l’ère commune étaient constitués d’inscriptions sur des sceaux, des monnaies et des tessons de poterie.
La « majorité des manuscrits datant de cette époque découverts à Qumrân sont en hébreu. Certains textes sont composés dans un dialecte araméen ».
Le « choix de l’hébreu, langue sacrée, dans la composition des textes de Qumrân pouvait être interprété comme un choix idéologique ». On a longtemps considéré que l’hébreu avait été remplacé par l’araméen en Judée à cette époque. Or, il y était encore largement utilisé à l’époque de Qumrân.
Un tiers environ de la bibliothèque de Qumrân est constitué de manuscrits ni bibliques, ni apparentés à la Bible. Ils se distinguent des autres documents, bibliques ou apocryphes, car ils « n’ont de parents nulle part ailleurs ». Ils ont été dénommés par les scientifiques une « littérature communautaire » car ils paraissent provenir d’un groupe religieux dont ils révèlent des rituels et de la liturgie, expriment « les préoccupations spirituelles, les attentes messianiques ». Ils relatent aussi les « nombreux codes disciplinaires » régissant la vie de la communauté.
Deux documents permettent d’éclairer la vie de la communauté :
• L’Ecrit de Damas « relate la fondation de la communauté, la persécution et l’exil de son fondateur « au pays de Damas » où la communauté séjourna un temps ».
Les scientifiques sont partagés sur l’identification de cette communauté. Comme celle-ci se trouvait près du site de Qumrân, il est possible qu’elle y ait vécu. Mais les écrits de cette communauté se caractérisent par l’absence de nom de personnage historique, de date permettant d’affirmer que les anciens habitants de Qumrân sont les membres de la communauté.
« Khirbet Qumrân », un site essénien, une exploitation agricole ou la villa d’une riche famille judéenne ?
Se fondant sur la proximité entre les manuscrits et le site de Qumrân ainsi que sur le déchiffrement des premiers écrits communautaires, le père de Vaux a conclu que les habitants de Qumrân étaient ces Esséniens. Il « identifia trois périodes d’occupation des lieux. Les premiers habitants de la communauté s’étaient établis entre 130 et 100 avant notre ère, puis Qumrân fut abandonné après un terrible séisme en 31 avant notre ère. D’autres esséniens s’y installent en 4 avant notre ère avant d’en être chassés par les armées de Pompée en 68. De Vaux mourut en 1971 sans avoir pu publier le résultat des fouilles de Khirbet Qumrân ».
Dans les années 1990, deux archéologues belges ont émis des doutes sur ses hypothèses. Ils ont avancé que le site de Qumrân était une exploitation agricole, une « villa rustica ». Leur théorie « a été reprise et étayée par l’archéologue Yizhar Hirschfeld qui affirme que Qumrân était la demeure d’une riche famille judéenne ».
La céramique occupe une place cruciale dans ce débat sur Qumrân. Les archéologues « ont découvert des bols, des assiettes et plats, des coupes, des vases et des lampes à huile que les habitants fabriquaient sur place comme en témoignent les restes de deux ateliers de potier et un four. Pour les partisans de la thèse essénienne, cela s’explique par la rigueur avec laquelle les hommes de la communauté respectaient les notions de pureté et d’impureté et l’usage très fréquent qu’ils faisaient de la céramique que l’on brisait quand celle-ci était devenue impure ».
Les « manuscrits de Qumrân dévoilent une communauté dont les pratiques sont différentes de celle des Pharisiens et des Sadducéens, les deux plus importants groupes du judaïsme de l’époque du second Temple.